La volonté du président Donald Trump d’évincer Lisa Cook, membre du conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale, représente bien plus qu’un simple changement de personnel—c’est une manœuvre audacieuse qui pourrait modifier les fondations mêmes de la politique monétaire américaine et de l’indépendance de la banque centrale.
Le défi de Trump à l’indépendance de la Fed
Depuis son retour au pouvoir en janvier, Trump a placé la Réserve fédérale sous un examen politique direct. Il a critiqué la banque centrale pour ne pas avoir baissé les taux, a évoqué l’idée de limoger Jerome Powell, son président, et tente désormais une démarche sans précédent en cherchant à destituer Cook.
La stratégie de Trump est double : réduire le coût de l’emprunt pour alléger la pression de la dette fédérale et stimuler le marché immobilier, qui demeure un moteur essentiel de la résilience économique. Mais ses critiques avertissent que ces mesures risquent de politiser la Fed, de miner sa crédibilité et de déstabiliser le système financier américain.
« L’érosion de l’indépendance de la banque centrale pourrait avoir des effets dévastateurs à long terme sur l’économie », a déclaré Kathryn Judge, professeure à la Columbia Law School. « La crédibilité de la Fed a mis des décennies à se construire, et la perdre serait extrêmement coûteux. »
Le pouvoir en jeu
Le conseil des gouverneurs, composé de sept membres, exerce une influence considérable sur le système financier américain. Tandis que le Federal Open Market Committee (FOMC) fixe le taux directeur des fonds fédéraux, les gouverneurs établissent de manière indépendante le taux d’escompte et l’intérêt sur les réserves bancaires—des outils qui influencent la liquidité et le crédit. Le conseil supervise aussi la reconduction des 12 présidents régionaux de la Fed, dont plusieurs devront être réévalués en 2026.
En outre, la Fed joue un rôle vital dans la sauvegarde de l’intégrité du système du Trésor et dans la préservation de la stabilité du dollar américain. Ces pouvoirs dépassent largement un simple ajustement des taux.
« Si Trump réussit, le conseil de la Fed risque de devenir un simple tampon de validation », a averti Robert Hockett, professeur de droit à l’université Cornell. « Cela ouvrirait la voie au même type d’instabilité que l’on a observé dans des pays où les dirigeants dictent la politique monétaire, depuis les hyperinflations en Amérique latine jusqu’à la volatilité en Turquie. »
L’agenda de Trump
Bien que les responsables de l’administration affirment respecter l’indépendance de la Fed, Trump a clairement indiqué qu’il privilégiera les candidats favorables à une baisse des taux d’intérêt. Ses alliés estiment que la Fed s’est aventurée dans des domaines hors de son mandat, tels que la politique climatique et les initiatives de diversité, et qu’elle a besoin d’une révision structurelle.
« Il y a eu une dérive de mission à la Fed », a déclaré Joseph LaVorgna, ancien économiste de la Maison-Blanche. « L’approche de Trump peut être peu conventionnelle, mais une réévaluation en profondeur de la banque centrale est attendue depuis longtemps. »
Des figures de Wall Street voient également un intérêt dans une réforme. Mohamed El-Erian, conseiller économique en chef d’Allianz, a appelé à la démission de Powell afin d’éviter l’aggravation du conflit sur l’indépendance. Il a aussi suggéré d’intégrer des voix extérieures dans l’élaboration des politiques, comme le fait la Banque d’Angleterre, afin d’éviter la pensée unique.
Les limites de l’influence de Trump
Malgré ses ambitions, le contrôle de Trump reste incertain. Il dispose actuellement de deux de ses candidats au sein du conseil, avec un troisième en attente de confirmation par le Sénat. Le mandat de Powell se termine en mai 2026, ce qui pourrait ouvrir une autre vacance. Toutefois, supposer que ces gouverneurs agiront en loyaux exécutants est sans doute irréaliste.
Christopher Waller et Michelle Bowman, les deux actuels candidats de Trump, ont montré leur indépendance d’esprit et il est peu probable qu’ils se contentent d’approuver les directives présidentielles. Par ailleurs, des recours juridiques pourraient limiter la capacité de Trump à destituer des membres en place sans motif valable.
Conséquences pour les marchés et le dollar
Si Trump parvient à remodeler la Fed, cela pourrait représenter le bouleversement le plus spectaculaire de la banque centrale américaine depuis près d’un siècle. Les investisseurs évaluent déjà les risques.
« Les marchés doivent se préparer à la possibilité très réelle d’une Fed fondamentalement différente », a déclaré Krishna Guha, responsable des politiques mondiales chez Evercore ISI. « Cela ne signifie pas que la politique changera immédiatement, mais cela marque une rupture avec les pratiques passées qui pourrait avoir des conséquences profondes. »
Pour les critiques, le risque va bien au-delà de la politique à court terme.
« Il n’y a jamais eu de menace aussi directe contre l’indépendance de la Fed dans l’histoire des États-Unis », a averti Hockett. « La confiance à long terme dans la Fed—et par extension, dans le dollar lui-même—est en jeu. »
